Colliers/Necklaces


Théïa Flynn with translation by Théïa Flynn and Eliza Chen
BFA GD 2019

Colliers



Jean est resté dormir quand même. Ce matin, j’ai décidé de me

faire une tartine. Je n’ai ni pain, ni pâte chocolatée. Il me faut exactement celle de la Migros, parce que je n’aime pas les autres marques. Celle de quand j’étais petite. Je me glisse hors du lit, et je ne le réveille pas. Il y a un courant d’air piquant dans tout l’appartement; c’est insupportable.

Il n’y a que très peu de monde à la Migros. Des vieux, un gars en chemise, des mamans qui ont déposé les enfants à l’école. Certains employés terminent de restocker. Mes yeux se posent vaguement sur un peu tout. C’est comme si ils étaient remplis de buée, comme en hiver avec les verres de lunettes. Je les sens bouger dans ma tête, triant le flou collectif des emballages étalés devant moi. Je dois en absorber la moitié à peu près. Halbfett Quark, Séré demi-gras, Quark mezzo. Magerquark, Séré maigre. Les fromages. Les yoghurts. Les mousses, les crèmes et les flans. Le papier métallique des beurres et leur luisance, baignés dans la lumière de cet énorme frigo. Salé. Demi-sel. Et les toutes petites perles froides qui se sont formées dessus.

Partout dans le magasin, il y les pancartes pastels qui annoncent Pâques. Elles pendent au plafond, attachées avec du fil transparent. J’imagine le magasin entier, tard dans la soirée: tout le monde juché sur des échelles jusqu’au dernier panneau, jusqu’à la dernière installation. Ou alors juste deux personnes, et les larmes des heures supplémentaires. Les pancartes se balancent doucement, criant en majuscules biscornues le retour du Lapin. Je regarde le sol. La pensée, l’image amère, me rattrape soudainement. L’image très forte du collier, argenté, qui s’est glissé sans faire exprès dans le décolleté. La voix tremblante, qui parle sans relâche, pour parler seulement.

Je m’efforce de continuer de lire. Lecture primaire des ingrédients visibles, d’abords. Les pourcentages de matières grasses, de sodium. La masse nette de protéines. L’absence totale de sucre et d’édulcorants. Ensuite, la lecture secondaire des tables aux quantités plus précises et aux composants indignes, en retournant, au hasard complètement, des pots sur leur étagères.

À l’étage de cette Migros-ci, quartier des Eaux-vives, rien n’est comestible. L’escalator qui y mène est très long et peu pentu. Tout semble couvert de poussière et d’étiquettes à rabais. J’admire les vieux pyjamas et peignoirs qu’ils vendent encore, ou les grands cartons coloré des poussettes à moitié prix. Il y a de sérieuses actions sur toutes les machines à faciliter la cuisine, comme des marmites vapeur. On m’avait informée de l’existence d’une machine dans laquelle on peut ajouter tous les ingrédients, crus et secs, et tout est cuit parfaitement. On utilise ça pour les spaghettis à la carbonara apparemment. Je ne sais pas quoi d’autre, par contre. Mais si je devais imaginer, ce serait ratatouille, tajine, et cetera.

Avec un goût tragique de container en plastique et condiments Maggi. Aussi, je suis sûre qu’elle aimerait si je lui en achetais une. Est-ce bête, de penser comme ça?

Malgré le déménagement, elle m’a paru inchangée, encore bien nerveuse. Comme j’avais eu peur de la retrouver responsable, soudainement. Comme si cette nouvelle adresse que j’avais dû ajouter à son contacte indiquait une nouvelle personne. Au contraire, elle était plus elle-même que jamais. Toute son essence se retrouvait dans ses tartelettes aux abricots, le même album qui a joué trois fois au moins, ses cinq tapis dépareillés. Elle était entièrement là, dans ses tasses de Nestlé. Le collier argenté, toujours perdu dans son décolleté. Le collier change tous les jours. Une fois, elle m’avait expliqué qu’elle garde son collier quand elle fait l’amour. C’est parce que ça lui donne de jolis seins. Elles les garde dans un grand tiroir d’une commode, et elle les y jette sans trop d’attention. Ils s’emmêlent à chaque fois qu’elle ouvre ou referme le tiroir. Mais jamais de collier perdu, oublié, mal-placé. Ils sont autour de son cou ou dans la commode. Elle en a un qu’elle porte qui est si magnifique; tissé de perles de nacre foncée, à l’aspect presque chromé. Pas tout à fait lisses non plus; on dirait presque des pois gelés. Une après-midi entière, j’ai observé son collier, isolé du reste. À quatre heure, quand les rayons à travers des stores ont rendu tout sucré, et que les murs ont fondu, les perles se sont activées. Elle a commencé à vouloir tout ranger, s’excusant de ce désordre si gênant. Je suis restée assise et je l’ai regardée. Les perles frétillaient, faisant la ronde tout autour de son cou. Après un certain temps, je lui dit qu’elles ressemblaient à un cortège de sardines qui faisait des cercles dans le noir des criques salées. Elle m’a regardée à son tour, enfin. Elle s’est approchée, a remonté sa robe, et est venue s’asseoir sur mes genoux.

L’unique vendeur qui passe dans cette partie du magasin avance et recule devant les articles. Je ne vois pas très bien quoi, de loin. Il a un calepin, il note des trucs. Il m’aperçoit, immobile au bout de l’allée, très rapidement entre un des ses va-et-vient. Quelques seconds passent puis me dit: « Salut ». Je hoche la tête juste. Je me rends compte que je ne m’attendais pas à être remarquée. Je m’étais imaginée jusque-là comme une présence minuscule et absolument imperceptible dans sa lenteur. Une mouche à fruit, isolée de l’essaim qui la pourrait la rendre embêtante.

C’est un printemps qu’on sent bien. On le sent au baiser de cette brise molle, à la lumière blanche du matin. Et il s’entend, aux mouettes et à ces autres oiseaux qui ont toujours marqué la fin de l’hiver. Jean s’est levé. Je lui explique ce que j’ai été faire. J’ajoute que j’avais besoin de prendre un peu d’air aussi. Je crains qu’il peine à me croire, tellement j’ai pris mon temps. « Mais tu as oublié le pain? » me demande-t-il pendant que je retire ma veste. Prenant mon temps toujours, je la dépose sur le dossier d’une chaise. Seulement ensuite, je lui réponds que oui, que ce n’est pas grave. Il reste le bout d’une baguette au pavot, un peu comme du gravier, mais ça ira.


Theia Flynn rêve de rejoindre l’industrie de l’edutainment.

Necklaces


Jean stayed for the night anyway. Today, I’ve decided to make myself a tartine. I have neither bread nor chocolate spread. I’d like exactly the Migros store-branded one; I don’t like the others. It’s also the same brand I had when I was little. I slide out of the bed. I am careful not to wake up Jean. A draft bites through the whole apartment. It’s intolerable.

There are only a couple people at Migros. Some elderly, a guy in a button-up, mothers who’ve just dropped off the kids. Some employees are restocking the shelves. My eyes don’t rest on anything. It’s like they’re fogged up, like spectacles in the winter. I feel my eyes move across the shelves, sifting through the blur of packaging laid out before me. I register about half: Halbfett Quark, Séré demi-gras, Quark mezzo. Magerquark, Séré maigre. Cheeses. Yoghurts. Mousses, double-creams and puddings. The metallic wrapper of the butter with its sheen, bathing in the light of the enormous fridge. Salted. Slightly salted. Tiny, cold pearls of condensation have formed all over them.

Everywhere in the store are pastel-colored signboards announcing Easter. They hang from the ceiling, held by fishing line. I imagine the store late at night: the entire staff perched on ladders up to last signboard, up to the last installation. Or, just two people, stuck with the bitterness of overtime. The signs swing gently, announcing in wobbly uppercase the Rabbit’s return. I stare at the floor. Suddenly the thought, the bitter image, it catches up with me. A strong image of the necklace—silvery—sliding unintentionally between her breasts. Her quivering voice speaking without ceasing, talking only to talk.

I try my hardest to keep reading. First, there’s perusing the lists of visible ingredients. The percentages of fat, of sodium. The net protein. The total absence of sugar or sweeteners. Then, there’s perusing the nutrition facts labels, showing more precise quantities and undignified components, turning around containers on the shelves with complete randomness.

On the upper floor of this Migros in the Eaux-vives neighborhood, nothing is edible. The escalator leading upstairs is very long and slightly sloped. Everything appears covered in dust and discount stickers. I admire the old robes and pajamas they continue to sell, or the large colorful boxes of half-priced strollers. There are serious rebates on all the machines that facilitate cooking, like steam kettles. I’d heard of a plastic machine to which ingredients could be added—raw and dry—and it would cook all of it perfectly. Apparently, it’s used to make spaghetti carbonara. I don’t know what else though.

If I had to imagine, it would be ratatouille, tajines, et cetera, but with the tragic taste of plastic and Maggi condiments. I’m sure she would like it if I bought her one. Is it stupid, to think like that?

Despite moving houses, she appeared unchanged, still nervous.

How afraid I’d been of returning to find that she’d become a responsible person, all of a sudden. As though her new address in my contacts made her completely different. On the contrary, she was more herself than ever. All her essence was found in her apricot biscuits, in the one album that accidentally played at least three times, in her five mismatched carpets. She was entirely there, in her cups of Nestlé. The silver necklace, always lost down the neckline. The necklaces change every day. Once, she told me that she always keeps the necklace on when she makes love. It’s because it makes her breasts look nice. She keeps them in the big drawer of a dresser, throwing them into it without paying attention. They get tangled every time she opens or closes the drawer. But a necklace is never lost, forgotten, ill-placed. They’re either around her neck or inside the dresser. She has one in particular that is so beautiful; it’s strung in pearls of dark nacre, with the look of chrome. Not completely smooth either; they look like frozen peas. One whole afternoon,

I observed her necklace alone, isolated from everything else. At four o’clock, when the rays coming through the blinds made everything sweet and melted the walls, the pearls became animate. She started wanting to tidy everything up, apologizing for the embarrassing mess. I stayed seated, and I watched her. The pearls wriggled, making the rounds of her neck. After some time, I told her that they looked like a procession of sardines, circling the black of the salty bays. She looked at me, finally. She walked towards me, lifted up her dress, and sat on my lap.

The only employee in this part of the store paces up and down the aisles, moving toward and away from certain items. I can’t see which ones, from afar. He has a little pad, he’s taking notes. He glances at me, standing immobile at the end of the aisle, in the middle of one of his back-and-forths. A few seconds pass, then he says, Hey there. I nod, and that’s it. I realize that I hadn’t expected to be noticed. Until now I had imagined myself as a tiny presence, absolutely imperceptible in its slowness. A fruit fly, isolated from the swarm that could make it a nuisance.

It’s a Spring that is felt strongly. It can be felt in the lips of the yielding breeze, in the white light of the morning. It can be heard in the cry of seagulls and other birds that have always marked the end of winter. Jean had gotten up while I was gone. I tell him what I did. I add that I needed a bit of air, too. I’m afraid that he doesn’t believe me, since I took so long. “But you forgot the bread?” he asks me, as I remove my jacket. Still taking my time, I lay it over the back of a chair. Only then, I answer yes, and that it doesn’t matter. There is the heel of a poppy seed baguette, a bit like gravel, but it’ll do.



Theia Flynn dreams of joining the edutainment industry.

Mark